ELISABETH LEVERRIER

A FRESCO, La Manufacture de l'image, 2017.


Prix de vente : 35 euros + frais d'envoi. Me contacter .



Parce que ses dessins-bois brûlés s'apparentent indéniablement aux fresques, Élisabeth Leverrier s'inscrit dans une tradition qui remonte aux origines de l'art. Même si son intention est, quant à elle, bien ancrée dans la réalité du monde actuel – les supports, devenus parois éphémères, ne déroulent plus de frises de bisons ou de chevaux au galop et ne s'ouvrent plus sur les mystères d'un paysage en trompe-l'oeil. L'artiste cherche à capter les ondes d'énergie qui se dégagent de certains lieux pour les transférer sur la surface qu'elle investit en la couvrant de traces, de lignes, de signes. Le geste fait renaître quelque chose qui a disparu et le figuratif cède la place à l'abstrait.


A fresco nous invite à un voyage initiatique qui cherche le visible dans l'invisible, la présence dans l'absence. Les parois de la caverne platonicienne sont couvertes d'images vacillantes qu'il faut révoquer comme les illusions d'esprits captifs; la fresque d'Élisabeth Leverrier évoque les ombres dansantes du passé et les ondes qu'elle fixe invitent à la contemplation...

Jeanne Verdun





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LA GRANDE VEILLEUSE

En novembre 1993, Usinor Sacilor fermait le site sidérurgique d'Unimétal Normandie (la SMN). L'usine gigantesque fonctionnait de jour comme de nuit, offrant la vision d'une machinerie de feu sans fin... Pendant des années, j'ai vu le ciel rougeoyer d'un feu qui couvait sur nous...
...Son cycle infernal de son et de lumière s'est brusquement arrêté.
En tant que plasticienne, j'investis des lieux chargés de mémoire : en faisant de nouveau circuler la parole, l'énergie de ces lieux devient visible et susceptible d'alimenter de nouveaux réseaux...

Un livre : entretiens entre sidérurgistes et jeunes acteurs.
Deux vidéos : un reportage sur la dernière coulée et une fiction où chacun se réapproprie la mémoire commune : le feu.


La Grande Veilleuse, réalisé par E.Leverrier, soutenue par l'association Pleins-Feux.
Livre-objet à commander aux Éditions Jean-Michel PLACE.

Pierre ROBERT, sidérurgiste :

"SMN FEUX, une vision du monde ouvrier au travers d'un prisme que serait le feu."







































A FRESCO, DANS LA PEAU D'ELISABETH LEVERRIER

Dans cet ouvrage, l'artiste invite à parcourir la démarche qui l'anime depuis 1985. Textes à l'appui, photographies mémorielles d'installations passagères et captures de performances, le livre révèle un processus de création qui dialogue entre danse, théâtre, cinéma et photographie.

C'est naturellement telle une danseuse, à la limite du rituel, qu'Elisabeth Leverrier nous apparaît avec sa démarche a fresco qui se concentre sur l'énergie verbale des lieux vacants. L'artiste s'applique à la transférer grâce à un corps qui devient instrument et qui ne fait plus qu'un avec les morceaux de hêtres calcinés qui lui servent de pinceaux. Captant les ondes d'énergie disparue, se hissant et se haussant pour atteindre les cimaises, sortes de feuilles blanches installées dans l'espace, elle trace une mémoire graphique de la sonorité des lieux. Les surfaces, sols se couvrent de lignes abstraites mais qui ne font pas abstraction du geste qui les a vues naître. Pour accompagner pleinement cette plongée visuelle dans le projet A fresco, le livre permet, grâce à l'utilisation d'un QR code, une immersion sonore dans son travail. Le lecteur parcourt alors les interventions dans l'espace de l'artiste, au rythme du tracé, au son du bois calciné qui s'écrase et laisse l'empreinte de son passage. Le trait, tantôt lourd, épais, se met parfois à respirer, se fait léger, presque absent. Il trace une frontière, déchire l'espace et le rend vibrant, redonnant alors aux espaces et à notre imaginaire une énergie disparue.
Autre facette de son travail, les Oscillateurs d'Elisabeth Leverrier, peintures de cendre, sont, eux, comme autant de lignes d'horizon aux variations infinies. Avec le feu comme origine de la création, les contrastes et les teintes jouent des impressions et invitent à la contemplation, tels des paysages vibrant du ciel à la terre.
Retraçant vingt ans de vie de l'artiste, A fresco est un livre de mémoire qui parle de la naissance. Celle d'un geste, d'un feu rallumé, de dessins fixés qui deviennent fresque.

Marion Cazy
livre/échange
Novembre 2017
Centre Régional des Lettres de Basse-Normandie



La Mémoire collective

Suite à la fermeture du site sidérurgique d'Unimétal Normandie (SMN) en 1993, le cycle infernal de son et de lumière de l'usine s'est brusquement arrêté. Élisabeth Leverrier réalise une vidéo « SMN Portes ouvertes » à la fois témoignage et documentaire, « avant que le silence douloureux du non-dit ne se transforme en amnésie générale ».

Par ses performances, l'artiste, nous dit Jeanne Verdun dans l'ouvrage A fresco, cherche à « capter les ondes d'énergie qui se dégagent de certains lieux pour les transférer sur la surface qui se couvre de traces, de lignes, de signes. Le geste fait renaître quelque chose qui a disparu ».

Élisabeth Leverrier dessine à l'aide de bois-brûlés. Sa technique « A fresco » est une technique particulière de la peinture murale dont la réalisation s'opère sur un enduit avant qu'il ne soit sec.

E. Leverrier : « Le dessin est comme une mémoire graphique du lieu, une restitution de sa sonorité. »



Le choix de l'éphémère ?

Que reste-t-il du processus artistique ? Ce qui n'est pas sans rappeler le choix de la Biennale de Paris de traiter le sujet dans l'un de ses colloques « Ces gens confondent sans doute processus et vide ».

L'artiste s'intéresse à la construction des images mentales. Ses dessins sont le fruit de contraintes verbales pour atteindre les cimaises et se déplacer. Les lignes témoignent de la tension du corps.

E. Leverrier : « Ce brusque arrêt de l'acte de peindre va provoquer l'émergence des souvenirs, tel un flot de paroles ininterrompu, un bouillonnement sonore. Comment rendre visible cette sonorité ? »

Le résultat final est épuré : marques noires sur fond blanc. Le feu allumé par Élisabeth Leverrier est éteint. Jeanne Verdun écrit « Art abstrait donc, mais qui ne fait pas abstraction de l'espace qui l'a fait naître ; du geste qui l'a fait naître."



Art & Contemplation

Face à la surenchère d'images et à l'hyperactivité que propose les médias : l'art permet-il de faire une pause ? De faire le vide ?

Les lignes d'Élisabeth Leverrier invitent à la contemplation. Sa volonté est d'arriver à un état de conscience « où le monde est entier, où se déploie une énergie tranquille et fabuleuse. Là. Arriver au rien et réceptionner le monde ».

Axelle Anne
lacritique.org



TOUCHER L'INFINI




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ETERNEL REGARD



INTERVIEW D'ELISABETH LEVERRIER

Benoît Cousin :

À travers votre travail de plasticienne et particulièrement le film que l'on a vu tout-à-l'heure, Éternel Regard, pouvez-vous nous dire ce que vous tentez de porter, de transmettre, de dire… de chanter puisqu'il y a du chant et de la danse ainsi que de l'éternel comme l'indique votre titre ?



Éternel regard c'est d'abord une invitation au temps : Je vous convie au temps qui précède l'acte du dessin où je contemple le monde à longueur de journées, de mois ; c'est un travail de digestion des événements ; où je remonte le temps par le fil conducteur du feu qui me renvoie à la préhistoire ; c'est le temps qu'il me faut pour quitter le réel visible, l'oublier, pour me retrouver, pour retrouver la mémoire collective : 40000 ans du mythe de la déesse , notre Vénus préhistorique. Du primitif qui sommeille en nous. Éternel regard, c'est un regard qui balaye le temps pour rejoindre le nôtre essentiel.

Éternel regard sonne comme un refrain, un éternel recommencement : le chant y est primordial et entraîne les images, de l'incantation ? un rituel ? je refais le monde, j'essaie de transformer les images, une image, c'est l'enjeu du film.


En tant qu'artiste femme, où faites-vous le lien entre votre film et le thème de l'exposition du Sépulcre : "Les droits des femmes s'accordent aussi au féminin" ?



Mon film débute par une image en noir et blanc : une silhouette qui se protège de ses bras et représente pour moi une image de fatalité ; il s'achève sur une image de femme en couleur, sereine, détendue, reconstituée, bien en chair. En 12 mn, je suis passée d'une image de fatalité à une image de femme accomplie !

• Pour passer de l'une à l'autre je dessine : il y a une urgence à transformer la matière, à répondre au monde, pas le temps de parler, dessiner devient obsession et jubilation. La tâche est immense, les cimaises sont hautes, la poutre est lourde, je suis au pied du mur : je trouve mon énergie dans le feu et la colère, je me débats et j'essaie d'atteindre le haut. Cela me dépasse, et je retente à plusieurs reprises : le dessin apparaît. De la démesure, du dépassement de soi, du potlacht, de la sublimation. À la question que je me pose depuis des années à savoir qu'est-ce que le pardon, de per donare (donner complètement) j'ai envie de dire que le dessein est de l'ordre du pardon, c'est-à-dire une réponse décalée dans le temps à un monde de violence.


Quels mots pour qualifier ton univers ?

J'ai fait un bout de chemin avec l'idée d'aller à l'essentiel... je continue encore avec ce mot qui me guide: retrouver l'essence même des choses. J'ai entendu les mots «apaisant» sur mon œuvre graphique et «fort en énergie» sur les tournages en public. Mais les deux se complètent.

Dans le bois brûlé «j'expire», et dans les peintures «j'inspire». J'ai besoin des deux, d'un espace extérieur et d'un espace plus intime. C'est une histoire de respiration et d'écoute du monde.



Quelles sont les thématiques que tu abordes ?

Mes recherches et réalisations s'organisent autour de la question de la peinture et de la mémoire, avec pour medium essentiel le feu. En filigrane s'est gravée une quête de l'origine.
Il s'agit de raccorder à sa mémoire individuelle et à la mémoire collective :
Quel est le lien entre les deux ? quel est notre patrimoine commun ?
Quelles sont les limites de notre mémoire ?
Comment raccorder, retrouver la mémoire, être en phase avec le monde ?
Je suis à l'écoute, à l'écoute de la rumeur du monde : j'ai toute la mémoire du monde dans la tête, une sorte de film.
Dans les grands hangars, je retrouve la mémoire du lieu qu'est le silence et c'est là que je peux rendre la rumeur visible, c'est là que je peux refaire circuler l'énergie. C'est une expérience de l'entièreté.

Il y a quelques années, j'ai imaginé l'image du monde comme un grand corps en suspension : il fallait intervenir là et là, dénouer surtout, et refaire circuler l'énergie, dans ce monde/corps qui est sectorisé, coupé de ses racines.

Je parle aussi de laisser la place à l'Inadvertance dans «a fresco», laisser venir les moments forts qui surgissent.

4 verbes d'action régissent ma création : FISSURER, DÉNOUER, FAIRE ÉMERGER, RÊVER.

D'où t'es venue l'idée d'utiliser la technique du Bois Brûlé ? Que veut dire «A fresco» ? Pourquoi le feu ?

Lorsque j'ai parlé de mon diplôme comme aboutissement, c'est que la quête du sens de la vie avait commencé vraiment deux ans auparavant : qu'est-ce que la peinture ? J'ai mis deux ans à éliminer tout ce que je trouvais encombrant pour la peinture : les sujets figuratifs, la couleur, la toile, puis plus rien, que du son, une sorte de brouhaha ; j'étais comme arrivée au rien de ce qui fait la vie. Arriver au rien c'est toucher son essentiel.

Dans le même temps l'événement important était le lever du soleil (comme origine de la vie). Je me brûle les yeux à le regarder s'élever, il semble embraser le ciel. J'ai eu envie de réaliser une sculpture en hommage au lever du soleil pour mon diplôme : avec des bois que je brûlais.

En retirant un bois du feu, une trace noire est apparue au sol, l'envie de dessiner est née à cet instant, donc non préméditée, par inadvertance, dans un moment fabuleux, dans la lumière, baignée dans la lumière du hangar : «a fresco», à ce moment là, dans le moment présent, dans ce lieu, vivre, vivre le dessin. Aucun retour en arrière possible.
Le feu est l'ultra vivant (Bachelard) ; métaphore de l'énergie qui nous habite, il est mon medium essentiel : il fait fondre les résistances, rassemble et me permet d'accéder à une autre dimension. Il est un maillon essentiel de l'humanité.



Pourquoi dessiner sur des grands supports ?

Le feu nourrit une formidable envie de vivre et la trace laissée au sol est comme une grande trouvaille, un horizon possible : je suis dans le temps et dans la fulgurance ; je suis dans un lieu immense, rythmé par de grandes cloisons blanches : animée par du dessin/danse, je vais du sol au mur, repasse par le feu... Formidable envie de vivre, envie de me dépasser, de ne faire qu'un.



Pourquoi dans des lieux de silence/vides ? Cherches-tu à faire le vide ?

Si je suis à l'écoute de la rumeur du monde, celui ci est souvent trop bruyant : j'ai besoin de me décaler, de me retirer dans le «silence» pour retrouver l'essentiel, aller à l'origine, reprendre ma respiration, travailler avec le temps, lâcher prise : être, ne pas vouloir dire, arriver au rien, faire corps avec l'espace, réceptionner le monde et entrer dans le temps (= tracer), en toute conscience.

Il n'y a qu'un vide apparent dans ces lieux vides, mais pas vide de sens. Ils sont chargés d'une mémoire qui me porte ainsi que le feu. Le bois brûlé est polyphonique, il est chargé du monde sonore que l'on connaît tous, il est chargé de la mémoire des lieux vacants. C'est dans le lieu que l'expérience de l'entièreté se fait, qu'il y a concordance.



Peux-tu nous présenter ta série «Take a Breath» ? Est-ce une manière de fixer ton travail autrement que par la photo ?

Mes premiers dessins bois brûlés datent de 1986 et sont une première réponse à la question de la peinture, mon objectif était d'en rendre visible l'essence. Ils étaient éphémères et j'ai dû en garder une trace argentique ; mais au final il manque la matière du dessin sur les photographies.

En 2009 j'ai eu l'envie de partager le dessin, de le redéployer et donc de le fixer sur des supports libres. L'idée était de pouvoir transmettre par la suite toute cette énergie fabuleuse. Le temps a travaillé pour que les choses s'incarnent.

En 2018 je me retrouve dans un hangar pour réaliser 18 dessins sur papier, au sol. Il s'agit de reprendre ma respiration. Ma contrainte verbale était de tracer des axes qui deviendraient des verticales une fois le support redressé ; et de marquer les quatre côtés du support : sont apparus des axes croisés, des croix donc, mais sans symbolique. Avec les grands bois je ne peux pas faire ce que je veux, c'est le tracé qui m'a emporté. Je ne sais pas qui de la poutre ou de moi dessine.

Combien de films as-tu réalisés ? De quoi parlent-ils ?

6 films tournés sur les lieux de mémoire : au Sépulcre «Artcaval», à l'Hôpital psychiatrique «Habitacle Viscéral», près de l'usine sidérurgique fermée « SMN Feux », dans le quartier de la Maladrerie «Fini la lèpre», près du Centre de détention «Carnet de Bal» et «Bien en chair» qui est une recréation avec 3 d'entre eux. Le 7ème : «Eternel regard», une fiction à partir des sensations du dessin bois brûlé.

Pour les films tournés sur les lieux de mémoire, avec des gens devenus acteurs pour l'occasion, il s'agit globalement de lieux d'enfermement : construire une nouvelle image du lieu s'imposait. Et refaire circuler les énergies du dedans, du dehors... d'où les interviews des gens concernés. Faire circuler la parole, la rumeur du monde. Je rebranche, remets les énergies en place, je ravive.



La présence de danseurs est systématique dans tes projets, pourquoi ?

Parce que j'ai la sensation de danser quand je dessine. Même si je marche, même si je dessine au ralenti, c'est une façon de faire partie de la ronde. Une des danseuses avec qui j'ai travaillé me disait que tout le monde danse... mais peu de gens le savent.

Quand as-tu commencé à peindre ? Pourquoi ce besoin de couleur ?

J'ai commencé à peindre à l'huile pour le film Eternel Regard (vers 2000). Mais j'étais déjà dans la peinture avec le Bois brûlé, «a fresco» et les films projetés en salle de cinéma où la couleur était choisie en fonction du propos, essentiellement sur les costumes (noir à l'Hôpital psychiatrique, lie de vin pour SMN feux, bleu pour Fini la lèpre, jaune/orange pour Carnet de Bal).

Pour «Eternel regard» j'ai utilisé toutes les couleurs possibles... Les filtres du ciel sont toutes mes recherches graphiques pour préparer «Eternel regard» ; une partie du film devait être film d'animation, au final je n'ai intégré qu'une seule peinture ! «Filtre» renvoie à l'idée de rendre visible ce au travers de quoi je vois les choses : comment je vois et non ce que je vois. L'image est construite comme un paysage de mer, un espace mouvant, vibrant. Entre moi et le monde, il y a comme un sas. Les Filtres du ciel sont une vibration.

Les Oscillateurs, construits de la même façon naissent après, et de l'envie de restreindre la palette : noir, blanc, orange de feu, mauve. Je les appelle aussi les peintures de cendre (je mélange l'orange au noir). C'est une vision intérieure, comme une radiographie du monde, un espace vibrant. J'imagine mal le début de la vie statique. Ils m'ont accaparée pendant des années, jusqu'à trois mois sur une peinture (une façon d'entrer dans le temps !). Si chaque peinture est conçue de façon autonome, elles peuvent être présentées en tryptique, en dyptique, déployant ainsi une vibration plus grande.



Peux-tu nous présenter ta série «Propuesta» ?

Les «Propuesta» sont nées en 2008 d'une proposition de Pilar Altilio critique d'art (Argentine) de travailler sur l'idée du voyage, sur quelque chose de l'ordre de l'étrange.

Techniquement il s'agit d'un photomontage : une photographie d'un «Filtre du ciel» au milieu d'une photographie d'un paysage de mer.

Les «Propuesta» sont une tentative de rendre visible un espace de contradiction, une dialectique fiction/réel ; où est le réel, où est la fiction ? Il s'agit d'ouvrir sur l'onirisme : Réalisme Magique ? Elles se nourrissent de la question que je me pose depuis plus de vingt ans : « de ce que je vois je ne sais si c'est une image ou la chose même ».

TOUCHER L'INFINI, OUVRIR L'ESPACE-TEMPS PAR LE DESSIN

Élisabeth Leverrier a grandi à la campagne, en Normandie, entourée d’arbres. Depuis son enfance, l’arbre et la forêt font partie intégrante de sa vie, et elle n’a jamais cessé d’éprouver une attirance pour la nature et ses mystères – la nature habitée. Auteure d’un travail artistique multidisciplinaire où les éléments de la nature jouent un rôle primordial, elle fait du bois et du feu des outils dans le cadre de sa pratique du dessin performatif. Monumentaux, éphémères, ses dessins tracés à la cendre de chevrons et de branches calcinés, réalisés directement sur les murs ou le sol de lieux désaffectés, forment depuis une vingtaine d’années le sujet de performances et de films qu’elle réalise elle-même. Selon l’artiste, le choix de ce médium du feu ancestral pour créer ses dessins dans des espaces abandonnés est un moyen d’accéder à un autre monde où les barrières entre les choses disparaissent, la matière du réel se trouve changée, l’espace-temps suspendu et où une énergie tranquille et fabuleuse se déploie, permettant de ressentir l’unité entre les choses. Une unité, une entièreté, qui n’est pas visible mais n’en reste pas moins bien présente lors de ses performances artistiques.

A l’occasion de chaque nouvelle performance, l’artiste travaille sur la mémoire et les caractéristiques propres au lieu qu’elle investit. Dans ces hangars abandonnés, vidés de leur vie de jadis, celle du monde du travail, le temps semble s’être arrêté : le calme règne, accentuant la perception de l’espace-temps du lieu, plus intense. L’artiste cherche à se connecter à la mémoire de ces lieux, la mémoire collective qui les habite encore, et l’advertance dont elle fait preuve lui permet d’accéder à l’état de conscience, à l’espace mental nécessaire pour accomplir sa performance. Ses grands dessins in situ au bois calciné sont ainsi une émanation de cet espace mental, atteint par l’artiste sous la double influence du feu ancestral et du lieu choisi. En se mettant à l’écoute du lieu lors de sa performance – un temps de solitude dans un bâtiment vide –, l’artiste se mesure à lui, et celui-ci lui impose sa mémoire, ses contraintes et ses dimensions. Grâce au feu, qu’elle allume à l’intérieur du bâtiment avec du bois ramassé aux alentours, Élisabeth Leverrier parvient à accéder à l’état de conscience qu’elle recherche. Elle réalise alors ses dessins très rapidement. Ses mains ne font qu’un avec le morceau de bois qu’elle brandit. Elle se donne uniquement quelques règles qu’elle a prédéfinies, par exemple ne toucher qu’une seule fois le haut du mur ou dessiner de gauche à droite. Hormis cela, son travail de création est essentiellement intuitif. En cherchant à faire cheminer l’inconscient jusqu’au conscient par les mouvements de son corps, elle fait écho à des techniques comme l’écriture automatique développées par les surréalistes. Les images mentales qui surgissent dans l’esprit de Leverrier sont alors transposées en dessins par des gestes rapides impliquant tout le corps et demandant une grande d’énergie. L’instant se mue alors en présent absolu. Lors de la performance, le hasard et les accidents décident également du tracé. Le dessin final est composé de traits monumentaux, traces de l’acte symbolique qui vient d’être accompli et qui a permis de déverrouiller le regard de l’artiste autant que l’espace de la performance. Ces tracés de Leverrier sont tels des fissures ouvrant l’espace et ré-ouvrant la mémoire. L’artiste transcende le silence du lieu pour retrouver sa mémoire sociétale, pour y faire de nouveau circuler l’énergie, impliquant souvent d’autres personnes dans ces performances filmées. En réalisant ces grands tracés noirs avec bienveillance, Élisabeth Leverrier fait émerger des bribes de cette mémoire de l’espace, tout en y ajoutant une autre dimension.

Ses grands dessins muraux in situ évoquent tout à la fois des fresques, des peintures rupestres, des graffiti, en somme des traces faites par l’humain, preuve de son passage sur terre. Comme certains graffeurs contemporains qui aiment occuper des espaces abandonnés pour leur énergie et réaliser à la bombe aérosol et à la peinture des oeuvres souvent gigantesques, Leverrier fait partie de ces artistes contemporains travaillant en extérieur, recherchant des espaces désaffectés singuliers pour y créer des oeuvres graphiques, qu’elle réalise quant à elle à la cendre, dans le calme et le vide, transformant le lieu de façon poétique.

Dans sa série "Veilleuses/Veilleurs", Leverrier transpose son travail in situ pour la première fois sur quatre toiles grand format. Réalisées au sol dans un hangar, ces œuvres mêlent aux traces de cendre du dessin le fluo de bombes aérosols, symbolisant le feu et sa lumière. Les visages tendres au sourire énigmatique, ni féminins ni masculins, ainsi que les mains semblant vouloir caresser ces visages ou toucher du doigt une autre réalité, apportent de la douceur et de la bienveillance à cette série qui veut faire rêver : ces quatre êtres issus d’un autre monde paraissent veiller sur le nôtre. Oniriques et intemporels, ils sont bien là dans le présent, placés aux quatre points cardinaux dans le transept lumineux de l'église Saint-Nicolas de Caen. Le feu – présent par une photographie en négatif – nous dévoile ici par sa couleur bleue cet autre monde qui permet de traverser le temps et l’espace, et peut-être même de toucher l’infini.

Katia Hermann, historienne d'art, auteure, curatrice
Berlin 2022



DU BONHEUR

Le travail d'Elisabeth Leverrier nous rend une émotion universelle et unique, celle de l'être humain face à la magie de sa présence au monde, face à ses paysages intérieurs, ses représentations du réel, ses sensations.
Les grands dessins de bois brûlé transforment le corps à corps entre l'artiste, le feu et l'espace, en une trace essentielle, universelle qui rappelle les traces laissées par les premiers Hommes dans les grottes de la préhistoire. Cette trace marque la présence de l'être humain dans la nature et la force de la nature dans les représentations humaines.
La peinture d'Elisabeth Leverrier poursuit cette réflexion pour nous restituer l'analyse intime de l'interaction entre la nature et la pensée humaine, entre le réel et l'imaginaire, entre l'objet et ses représentations.
Ses "Filtres du ciel" sont de merveilleux instants de dialogue entre le paysage réel et intérieur, l'incarnation en chacun de nous du passage entre le monde et la représentation que nous en avons. Ce surgissement de nos émotions, de nos sentiments sur les images du monde est à voir dans ses films où les couleurs envahissent, magnifient le réel, comme les pigments qui s'écoulent sur les lépreux de "Bien en chair" ; ou la couleur rouge qui envahit et caresse les images de la danseuse d' "Eternel regard".
Ses derniers travaux affirment que de cette confrontation entre monde réel et monde intérieur émerge une réalité transcendée, un droit au bonheur et à la beauté, une harmonie entre l'être et le réel. Ses "Propuesta" sont une incarnation de l'interaction entre la perception du monde et la pensée humaine faite de souvenirs, de connaissances, de concept. Dans le travail d'Elisabeth Leverrier, ce contenu mental n'altère pas la beauté ou la vérité des paysages naturels, mais les magnifie. C'est l'histoire de la réconciliation de l'Homme avec lui-même, l'apaisement du conflit entre monde extérieur et intérieur, l'expression d'une forme de méditation heureuse qui nous est offerte par cette artiste.

Nathalie Tzourio-Mazoyer
Directeur de Recherche en Neurosciences Cognitives
Université de Bordeaux
Mai 2012



Dans l'acte de transmettre, d'enseigner, il y a les didactiques qui ont leurs mérites, et ceux ou celles qui naturellement déclenchent un ressort, éveillent la curiosité, réveillent le désir de découvrir, d'apprendre, de s'approprier.
Avec Elisabeth Leverrier j'ai appris à regarder, à me mettre en état de perception pour trouver mes propres chemins de lecture, gagner une nouvelle assurance et donc une nouvelle liberté.
Ce qui m'a le plus séduit dans le travail d'Elisabeth c'est l'énergie qu'elle sait puiser en chacun pour la redistribuer amplifiée, décuplée. Son art réside dans sa capacité à faire éclore les talents des uns au contact des autres, à tisser des liens, comme autant de passerelles, comme autant de circuits de paroles rétablis, flux invisibles qu'elle stigmatise sur les cimaises.
Laissez-vous tenter par la liberté de capter les ondes, sentir les vibrations, aiguiser vos sens dans l'espace qu'elle nous donne à conquérir.

Françoise Grieu



FACE À FACE

J'entre
L'espace dans l'espace
Comment faire une phrase sujet-verbe-complément pour parler, évoquer, décrire le travail artistique de Elisabeth Leverrier, vu à l'exposition « Toucher l'infini, 2 » à la galerie IGDA 2.0 à Caen en ce mois de janvier 2020.
De quoi, de qui est-il sujet ?
Si je fais confiance à mon œil, je vois une trace brûlée, une calligraphie inédite de son alphabet intérieur.
C'est une note, une note sonore graphique, qui est écrite sur la cimaise.
A un instant t, a surgi cette trace éternelle et devenue intemporelle, qui va surgir à chaque fois que mon œil va se poser dessus, à chaque fois que mon œil va la parcourir : elle jaillit et agit comme originelle.
Une renaissance permanente.
Clignons, clignez des yeux : cette trace apparaît/disparaît apparaît/disparaît apparaît/disparaît...
J'y découvre mon identité,
C'est un clin d'œil, à chaque fois que je m'accorde la quintessence, la pleine conscience d'exister, cette trace m'incarne en miroir d'image de trace humaine à laquelle elle me renvoie. Cette trace que je vois c'est la mienne !! Je vois la trace de mon existence vitale primitive, j'y trouve mes entrailles, mes racines vitales.
Une renaissance enivrante.
Voilà à quoi me confronte, m'initie le travail artistique de Elisabeth Leverrier.
Une sorte de genèse autorisée et c'est bon de définir la vie juste par une trace dans l'espace infini dans lequel je m' incarne les pieds sur terre, la tête dans le cosmos, sans savoir, en l'ayant oublié dès la naissance, que je ne suis qu'une trace d'humanité !!
Merci Elisabeth Leverrier de m'avoir fait prendre conscience de cela.
Renaissance, Incarnation sublimée, Je m'enrobe joyeusement de ce manteau artistique de maternité sociétale. Ainsi je me dérobe à l'impasse de l'absence à moi et m'écarte du traditionnel.
Merci pour ce voyage éternel car cette trace s'est imprimée en moi pour toujours !!
Sujet-verbe-complément : je dirai alors qu'il y a là de l'énergie vitale à ressentir d' une magicienne dompteuse de traces humaines vivantes qui pourrait bien être une de ces femmes-flammes-veilleuses de l'humanité.

Virginie Le Brisois, auteure
24 janvier 2020